Le retour du Made in Guinea

Article : Le retour du Made in Guinea
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7 août 2021

Le retour du Made in Guinea

FATOUMATA CHERIF, GUINEE

Fatoumata Chérif dans une tenue Kindely
  • Quel est ton avis sur ce retour offensif au Made in Guinea?

Je suis ravie de constater que les Guinéens se sont réappropriés leur culture. Nous avons une grande diversité de tissus et cela promeut le travail des femmes teinturières.

L’autonomisation des femmes dépendra de l’engagement des nationaux à consommer ce que nous produisons, et cela dans tous les domaines : agroalimentaire, textile, prestations de services…Il y’a beaucoup de talents qui ne demandent qu’à être mis en lumière.

  • Est-ce une prise de conscience des guinéens ?

Je crois que l’amélioration de la qualité de la teinture, les nouveaux designs sur les tissus et la diversité des couleurs ont été des facteurs importants. Il y a également eu l’influence de quelques leaders d’opinion qui ont su démontrer que nos tenues peuvent être portées en tout lieu et en toutes circonstances. Moi personnellement, depuis plus de huit ans, pour toutes mes sorties internationales et des événements au niveau national, je préfère me vêtir de nos textiles parce que, non seulement c’est beau, mais ça valorise aussi notre culture. Avant, j’avais l’impression que le travail de nos artisans n’était pas assez promu et mis en valeur. Porter des tenues avec des textiles fabriqués en Guinée, faits par des créateurs et des couturiers guinéens, c’est une forme de ‘’politique culturelle’’ que je me suis imposée ! Et je suis ravie de cette nouvelle tendance ici en Guinée, surtout au niveau des jeunes, des artistes, du chef de l’Etat et même, plus récemment, de la part de l’équipe national de football.

Fatoumata Chérif en forêt sacrée dans une tenue créée pour elle.
  • Tu affectionnes beaucoup le Kindely, pourquoi?

(sourires) Oui en effet. Je suis une passionnée du Kindely. Ce textile guinéen est particulièrement beau. Il est réalisé par les femmes de Kindia. Les dessins sur les tissus, les couleurs … mettent en valeur le travail créatif et ingénieux des femmes artisanes. Chaque dessin a une particularité et un nom local affectueusement donnée par les femmes. Qu’ils s’agissent des fruits, des légumes, des animaux, des fleurs, des symboles, chaque tissu reflète un phénomène de société. Je suis très sensible à cette particularité du Kindely.

Fatoumata Chérif dans une tenue Kindely, créée par elle-même

Outre ces aspects esthétiques, mes arrières grand-parents et mes grand-parents ont tous fait de la teinture, c’est donc aussi une histoire familiale… C’est grâce aux revenus issus des ventes qu’ils prenaient en charge leur famille. C’est donc une manière pour moi de les honorer et de promouvoir ma région d’origine.

En tant que créatrice, chaque kindely que je vois, m’inspire un modèle. Leur multiple facette me permet de réaliser des tenues au design singulier.

Mais je suis également fanatique des autres textiles comme le coton tissé du fouta (Lepi), le coton tissé de la forêt et le pagne forêt sacré fait à base de colas.

Fatoumata Chérif, au Siège de la Commission des Nations Unies pour l’Afrique (UNECA)

Dernier mot

L’histoire nous révèle  que ce sont les teinturières guinéennes qui ont appris la teinture à de nombreux autres pays de la région. Au Mali par exemple, ce sont des guinéennes qui teignent les bazins Bamako. C’est dire que nous avons un art à promouvoir. J’invite les autorités à créer un marché artisanal, à former les femmes sur les techniques de fixation à travers les centres d’autonomisation, à promouvoir le label Guinée au niveau des décorations des hôtels, les missions ministérielles…à intégrer un volet RSE (responsabilité sociétale environnementale) car les produits chimiques impactent non seulement l’environnement, mais aussi la santé des femmes teinturières. Une mutuelle de santé doit être instaurée. Mes deux grand-mères par exemple ont toutes eu une déficience visuelle à cause de la soude utilisée à l’époque pour fixer les colorants. De nouvelles méthodes respectueuses de l’environnement devront être implémentées pour progressivement passer aux composants naturels. Il y a donc beaucoup de choses à faire pour promouvoir la culture guinéenne à travers les tissus !

Le guinéen doit pouvoir être reconnu parmi d’autres nationalités. Et c’est bien le textile qui pourrait nous y aider. Ne dit-on pas que l’habit peut faire le moine…

Interview réalisée par Monique Curtis en 2019

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